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1. Les sentiments ineffables sont obscurs et vides

Victor Hugo, Lettre à Léonie d’Aunet (1842)
Tu as raison, les mots manquent, le cœur est plein, la parole est vide, comment dire qu’on aime ? Comment exprimer l’amour ? Comment l’exprimer à une femme comme toi ? Par quelles paroles rendre ce mélange de tendresse, de respect, d’estime, d’admiration, de dévouement et d’adoration qu’une âme comme la tienne fait naître dans un cœur comme le mien ? J’y renonce. La parole humaine n’est pas faite pour exprimer l’infini, et je me contente de te dire je t’aime !
Expliquez pourquoi V. Hugo pense ne pas pouvoir exprimer son amour à Léonie
Friedrich Hegel, Philosophie de l’esprit (1817)
C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. (…) On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut, c’est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n’en est pas au mot. Si la vraie pensée est la chose même, le mot l’est aussi lorsqu’il est employé par la vraie pensée. Par conséquent, l’intelligence, en se remplissant de mots, se remplit aussi de la nature des choses.
1. Pourquoi Hegel pense-t-il que la pensée ne peut pas être ineffable (impossible à traduire en mots) ?
2. Imaginez le commentaire que Hegel ferait de l’extrait de lettre de Victoir Hugo
Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille (1971)
Il se peut que je m’agace, aujourd’hui, parce que le mot « amour » ou tel autre ne rend pas compte de tel sentiment. Mais qu’est-ce que cela signifie ? […] A la fois que rien n’existe qui n’exige un nom, ne puisse en recevoir un et ne soit, même, négativement nommé par la carence du langage. Et, à la fois, que la nomination dans son principe même est un art : rien n’est donné sinon cette exigence ; « on ne nous a rien promis », dit Alain. Pas même que nous trouverions les phrases adéquates. Le sentiment parle : il dit qu’il existe, qu’on l’a faussement nommé, qu’il se développe mal et de travers, qu’il réclame un autre signe ou à son défaut un symbole qu’il puisse s’incorporer et qui corrigera sa déviation intérieure ; il faut chercher : le langage dit seulement qu’on peut tout inventer en lui, que l’expression est toujours possible, fût-elle indirecte, parce que la totalité verbale, au lieu de se réduire, comme on croit, au nombre fini des mots qu’on trouve dans le dictionnaire, se compose des différenciations infinies - entre eux, en chacun d’eux – qui, seules, les actualisent.
1. Pourquoi J. P. Sartre pense-t-il qu’il est faux que le mot amour ne peut pas rendre compte du sentiment amoureux ? Expliquez ses deux arguments.
2. Expliquez la dernière phrase : « la totalité verbale, au lieu de se réduire, comme on croit, au nombre fini des mots qu’on trouve dans le dictionnaire, se compose des différenciations infinies - entre eux, en chacun d’eux – qui, seules, les actualisent »