1. Que nous apprend l’introspection ?
Sommaire
Introspection ?
Définition
- Sens courant : Observation, examen, regard attentif sur soi-même.
- Sens philosophique : effort d’une conscience qui se prend comme objet dans un but de connaissance de soi
« La pensée est le dialogue intérieur et silencieux de l’âme avec elle-même »
Platon, Le sophiste
1.1. Je suis une chose qui pense
Lire le texte et répondre
- Premier extrait : expliquez la démarche qui mène Descartes à affirmer : «… cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit ». Que signifie cette conclusion ?
- Second extrait : Que répond Descartes à la question “Que suis-je” ? Que peut-on en conclure sur notre identité personnelle ?
RENÉ DESCARTES, Méditations métaphysiques II (1641) |
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Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain. (…) Ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. (…) De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition: Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. |
Mais qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. |
1.2. L’identité introuvable
Lire le texte et répondre
- Que saisissons-nous par le moyen de l’introspection, selon David Hume ?
- Pourquoi l’identité personnelle est-elle « fictive » ?
- Que peut-on en conclure sur notre identité personnelle ?
DAVID HUME, Traité de la nature humaine (1739) |
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Pour moi, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi-même, je tombe toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaleur ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne parviens jamais, à aucun moment, à me saisir moi-même sans une perception et je ne peux jamais rien observer d’autre que la perception. […] [Je suis] un faisceau ou une collection de perceptions différentes, qui se succèdent avec une rapidité inconcevable et sont dans un flux et un mouvement perpétuels. […] L’esprit est une sorte de théâtre, où des perceptions diverses font successivement leur entrée, passent, repassent, s’esquivent et se mêlent en une variété infinie de positions et de situations. Il n’y a pas en lui à proprement de simplicité à un moment donné, ni d’identité à différents moments, quelque tendance naturelle que nous puissions avoir à imaginer cette simplicité et cette identité. La comparaison du théâtre ne doit pas nous égarer. Ce ne sont que les perceptions successives qui constituent l’esprit, et nous n’avons pas la plus lointaine idée du lieu où ces scènes sont représentées, ni des matériaux dont il est composé. […] L’identité que nous attribuons à l’esprit de l’homme n’est qu’une identité fictive (…). Puisque seule la mémoire nous informe de la continuité et de l’étendue de cette suite de perceptions, elle doit être considérée, principalement pour cette raison, comme la source de l’identité personnelle. |
Complément : le cas d’amnésie rétrograde de Jimmie
Lire et répondre
- Oliver Sacks est un psychiatre et neurologue anglais. Résumez le cas de Jimmie, qui souffre d’amnésie rétrograde et d’un trouble del’identité
- En quoi ce cas illustre-t-il la thèse de Hume sur l’identité personnelle ?
- En quoi est-ce un trouble de l’identité ?
Oliver Sacks, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau (1985) |
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Jimmie était un bel homme aux cheveux gris, foisonnants et bouclés ; à quarante-neuf ans, il respirait la santé, il était gai, amical, chaleureux. — Salut, docteur ! dit-il en entrant. Belle matinée ! Je peux m’asseoir là ? » C’était un homme cordial, prêt à parler et à répondre à toutes mes questions. Il me donna son nom et sa date de naissance, et évoqua la petite ville, dans le Connecticut, où il était né. Il me la décrivit avec des détails qui disaient son attachement à ce lieu et en dessina même le plan. Il parla des maisons où sa famille avait vécu – il se souvenait encore de leur numéro de téléphone. Il parla de sa période scolaire, des amis qu’il avait à cette époque, de son goût pour les mathématiques et les sciences. Il évoqua avec enthousiasme le temps qu’il avait passé dans la Marine – il avait alors dix-sept ans et sortait tout juste du lycée, lorsqu’il fut incorporé en 1943. (…) Une jeunesse intéressante et bien remplie, qu’il se remémorait d’une façon vivante, en détail et avec attachement. Mais, à partir de là, pour je ne sais quelle raison, ses réminiscences s’arrêtaient. (…) Quand il s’agissait de se rappeler, de revivre les événements, Jimmie était très animé ; il ne donnait pas l’impression de parler du passé mais plutôt du présent, et je fus très frappé par son changement de temps lorsqu’il passait des souvenirs de sa scolarité à ceux de sa période dans la Marine : il avait employé le passé, il employait maintenant le présent – et il ne s’agissait pas, me semblait-il, du présent formel ou fictif du souvenir, mais du présent actuel de l’expérience immédiate. Un brusque, invraisemblable soupçon me saisit. — En quelle année sommes-nous, monsieur G. ? demandai-je en dissimulant ma perplexité sous un air désinvolte. — Quarante-cinq, mon gars. Pourquoi ? Il continua : « Nous avons gagné la guerre, Roosevelt est mort. Truman est à la barre. L’avenir nous appartient. — Et vous, Jimmie, quel âge avez-vous donc ? Chose curieuse, il hésita un moment comme s’il calculait. — Voyons, je dois avoir dix-neuf ans, docteur. J’aurai vingt ans au prochain anniversaire. (…) Deux minutes plus tard, je rentrai dans la pièce. Jimmie était toujours debout près de la fenêtre, regardant avec plaisir les enfants jouer au base-ball en contrebas. Il se retourna quand j’ouvris la porte et son visage prit une expression enjouée. — Bonjour, docteur ! dit-il. Belle matinée ! Vous voulez vous entretenir avec moi ? Je m’assieds là ? Son visage franc et ouvert n’exprimait pas le moindre signe de reconnaissance. — Est-ce que nous nous sommes déjà rencontrés, monsieur G. ? demandai-je d’un air détaché. — Non, je ne crois pas. Quelle barbe vous avez ! Je ne vous aurais pas oublié, docteur. (…) En quoi consistait une vie déconnectée ? « Je peux m’aventurer à affirmer, écrivait Hume, que nous ne sommes rien d’autre qu’un faisceau ou une collection de perceptions différentes, se succédant avec une rapidité inconcevable, et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels (Hume, Traité de la nature humaine). » En un sens, il était devenu un être « humien ». (…) Jimmie était à la fois conscient et inconscient de cette profonde et tragique perte survenue en lui-même, de cette perte de lui-même. (Si un homme a perdu un œil ou une jambe, il sait qu’il a perdu un œil ou une jambe ; mais, s’il a perdu le soi – s’il s’est perdu lui-même –, il ne peut le savoir, parce qu’il n’y a plus personne pour le savoir.) |